ANALYSE - Cinq enseignements militaires clés de la guerre entre l'Azerbaïdjan et l'Arménie
L'auteur est le directeur du Programme de recherche sur la sécurité et la défense du groupe de réflexion EDAM basé à Istanbul.
Alors que l'armée azerbaïdjanaise progresse dans la récupération des territoires nationaux occupés par les Arméniens, la guerre en cours offre des leçons inestimables pour la communauté stratégique et militaire mondiale.
Ci-dessous, j'ai énuméré cinq observations principales afin de saisir l'avenir de la guerre, dans le contexte du conflit qui se déroule dans le Haut-Karabakh, également connu sous le nom de conflit du Nagorno-Karabakh.
- Leçon 1 : Sans des moyens adéquats tels que les capteurs, la couverture de moyens de guerre électronique, et l'armement anti-drone, les unités terrestres traditionnelles sont en difficulté
La première leçon que les affrontements entre Azerbaïdjanais et Arméniens ont apportée est la vulnérabilité des unités terrestres traditionnelles - formations blindées, mécanisées et motorisées - face aux armes et concepts avancés de la guerre des drones.
Au moment de la rédaction de cet article, des publications de renseignement open source [1] documentaient quelque 175 pertes dans les principales batailles, pour les forces d'occupation arméniennes dans le Haut-Karabakh.
Les affrontements en cours ont montré que même si l'ère des chars n'est pas encore révolue, les chars de combat principaux, ainsi que d'autres plates-formes de guerre terrestre traditionnelles, constitueraient des cibles faciles pour les systèmes aériens sans pilote (UAS, drones) à moins qu'ils ne soient accompagnés d'une composition organique de défense aérienne de courte portée, de moyens de guerre électronique et de systèmes anti-drones.
- Leçon 2 : L'intégration de l'appui-feu terrestre aux drones occupe une place importante dans la guerre moderne
La Syrie a fonctionné comme un laboratoire de guerre du XXIe siècle. Tous les acteurs impliqués, allant de la coalition anti-Daech dirigée par les États-Unis aux Gardiens de la révolution iraniens et au Hezbollah libanais, ont démontré, testé et appris de nouvelles capacités militaires sur le champ de bataille syrien.
La Turquie et la Russie sont les deux pays qui ont développé des "complexes de drones et d’artillerie" au cours de leurs opérations en Syrie.
L'armée turque, en particulier lors de l'opération « Bouclier du Printemps » visant les déploiements au nord du pays, de l'Armée arabe syrienne au début de 2020, a utilisé ses drones pour exécuter des missions de renseignement, de surveillance, d'acquisition d'objectifs et de reconnaissance (ISTAR) pour l'obusier Firtina de 155 mm et les systèmes de fusée à lancement multiple.
Les drones turcs ont également été utilisés pour les tâches d'évaluation des dommages de combat afin de mesurer les effets de l'artillerie et des salves de roquettes. De même, après avoir assimilé les leçons du champ de bataille syrien, les forces armées de la Fédération de Russie intègrent désormais les drones Orlan-10 [2] à l'artillerie de classe 152 mm.
Les Forces armées azerbaïdjanaises ont montré un autre exemple de combinaison de drones et de d'appui-feu terrestres. Dans de nombreux affrontements, y compris des combats de nuit, l'artillerie azerbaïdjanaise et les systèmes de roquettes ont combattu en étroite coordination [3] avec les drones.
Dans l'ensemble, nous assistons à une tendance croissante à combiner des systèmes aériens sans pilote avec des forces de frappe indirectes, dans les guerres contemporaines.
- Leçon 3 : La dissuasion intra-guerre gagne en importance
Dépassée par l’offensive azerbaïdjanaise, la partie arménienne a eu recours à des missiles balistiques pour cibler les agglomérations et les infrastructures nationales essentielles de l’Azerbaïdjan.
Dans mes écrits précédents pour l'Agence Anadolu (AA) [4], j'ai analysé l'aspect du droit international concernant la campagne arménienne de missiles visant les civils, ce qui équivaut clairement à des crimes de guerre.
Outre l’aspect juridique, la dimension militaro-stratégique de l’utilisation des missiles balistiques et des roquettes lourdes des forces arméniennes au cours de cette guerre, cette stratégie mettant en évidence le concept vital de « dissuasion intra-guerre », mérite une certaine attention.
La dissuasion intra-guerre consiste, brièvement, à contrôler les schémas d'escalade [5] dans un conflit en cours. Il incorpore la négociation tacite ou explicite concernant les seuils et les limites d'un conflit en cours.
Contrairement aux théories traditionnelles de dissuasion, la dissuasion intra-guerre fonctionne dans une guerre en cours.
Dépassée par la supériorité technologique de l’Azerbaïdjan sur le champ de bataille, l’Arménie a eu recours aux salves de missiles balistiques et de systèmes de fusées à lancement multiple (MLRS), ciblant les principaux centres urbains de l’Azerbaïdjan.
Plus important encore, les missiles balistiques SS-26 Iskander de fabrication russe, et intégrés à l'arsenal arménien [6] rendent la situation encore plus dangereuse. Dans l'ensemble, la guerre en cours a montré que la dissuasion intra-guerre et les armes stratégiques liées à ce concept crucial continueront de dominer les champs de bataille dans les années à venir.
Enfin, sur une note distincte mais importante, pendant le conflit, l’Azerbaïdjan a utilisé ses drones pour traquer les missiles balistiques mobiles TELAR (transporteur-érecteur-lanceur) d’Arménie dans au moins une escarmouche. Si l'Azerbaïdjan peut étendre ce concept à une approche plus systématique, alors on peut supposer que les drones ont désormais une nouvelle tâche sur le champ de bataille, détruire les missiles balistiques mobiles, avant la phase de poussée.
- Leçon 4 : Les drones sont de bons atouts de suppression des défenses aériennes ennemies de basse à moyenne portée
Sur les champs de bataille syriens et libyens, le drone turc Bayraktar TB-2 s'est fait un nom - le « chasseur de Pantsir » - grâce au nombre de systèmes russes de défense aérienne mobile de courte et moyenne portée, Pantsir, qu'il a détruits.
Réitérant ce qu'elle a appris de l'école turque de guerre des drones, l'armée azerbaïdjanaise a su utiliser de façon effective les UAS, en particulier le Bayraktar TB-2, pour traquer les défenses aériennes arméniennes.
Bien sûr, les munitions intelligentes fabriquées par Roketsan, principalement MAM-L, ont joué un rôle majeur dans la campagne de suppression des défenses aériennes ennemies (SEAD).
Seulement dans les deux premières semaines des affrontements en cours, les Forces armées azerbaïdjanaises ont détruit [7] quelque 60 unités de défense aérienne, principalement des systèmes 9K33 OSA, et 9K35 Strela.
Outre les armes turques qui changent la donne, Israël est une autre source importante d'armes stratégiques pour l’Azerbaïdjan. À cet égard, les munitions israéliennes de traque, Harop - le drone kamikaze - figurent au premier plan.
À la différence des autres lignes de base de systèmes aériens sans pilote, les « drones kamikazes » portent une ogive intégrée à la plate-forme. Par conséquent, au lieu de larguer les armes, ces drones traqueurs plongent sur leurs cibles.
La ligne israélienne Harop mérite l'attention en raison de deux caractéristiques clés :
Tout d'abord, elle bénéficie d'une grande autonomie, permettant d'intégrer ou d'exclure des opérations humaines.
Deuxièmement, elle a des capacités anti-rayonnement, ce qui signifie que le drone peut détecter et se positionner de manière autonome sur les émissions radar. Cette dernière caractéristique s'est manifestée de manière sensationnelle dans le ciblage par l'Azerbaïdjan [8] du système stratégique SAM (missile sol-air) des forces de défense aérienne arméniennes S-300, de fabrication russe.
Dans l'ensemble, en l'absence d'une solide architecture de défense aérienne centrée sur réseau et dans des espaces aériens relativement permissifs, les drones se sont révélés être des atouts SEAD efficaces.
Sans aucun doute, la plupart des drones sont encore faciles à abattre, en comparaison notamment aux avions pilotés. Ainsi, on ne peut pas prétendre que contre un adversaire robuste, la mise en place d'une capacité A2 / AD (anti-accès / refus de zone) complexe soutenue par des outils de guerre électronique et des échelons de systèmes anti-drone, reposant uniquement sur des systèmes sans pilote, pourrait offrir des solutions adéquates. Les opérations SEAD basées sur des drones sont idéales contre des adversaires dépourvus de défense aérienne centrée sur un réseau, ainsi que d'une image aérienne complète.
- Leçon 5 : Malgré l'âge des drones, le calcul militaire et géostratégique compte toujours
Alors que l’avancée technologique de l’Azerbaïdjan et la guerre des drones ont, jusqu’à présent, démontré une solide capacité de combat, la campagne offensive a dû utiliser des concepts et des armes, traditionnels, pour libérer puis garder le contrôle des territoires occupés.
Au fur et à mesure de la poussée azerbaïdjanaise, la planification militaire de Bakou est passée d'une guerre d'usure écrasante menée par des drones à un effort de guerre interarmes plus intégrées, poursuivant une approche plus équilibrée.
Certains écrits de la mi-octobre, de façon prématurée, affirmaient que [9] bien que l'armée azerbaïdjanaise ait réalisé une bonne performance dans la guerre des drones, ses gains territoriaux restaient limités. À l'heure actuelle, les gains territoriaux azerbaïdjanais offrent une perspective très différente de celle de la mi-octobre. L'armée azerbaïdjanaise s'est emparée de positions critiques, telles que la frontière iranienne de ses territoires occupés, et, au moment de la rédaction de cet article, a progressé vers le corridor géo-stratégiquement inestimable de Latchine.
Dans l'ensemble, la guerre en cours montre que le calcul militaro-géostratégique traditionnel est toujours d'actualité. Les capacités de combat conventionnelles pour nettoyer, retenir et nier le territoire à l'ennemi, restent cruciales. Cependant, compte tenu de la « leçon-1 » et de la « leçon-2 » susmentionnées concernant le conflit Arménie-Azerbaïdjan, on peut sans aucun doute supposer que les drones font désormais partie intégrante de l’art opérationnel moderne de la guerre interarmes.